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Haïti a droit à la sécurité autant qu’à la démocratie

Les événements qui se succèdent à Haïti depuis la fin du mois de février donnent le vertige. Après les évasions massives survenues dans des centres de détention pris d’assaut par les gangs qui font régner la terreur dans le pays et aggravent une crise humanitaire larvée, le premier ministre par intérim, Ariel Henry, décrié pour son inefficacité, a annoncé sa démission le 11 mars, cinq jours seulement après une forme d’ultimatum adressé par le chef de l’une des deux plus puissantes coalitions criminelles haïtiennes. Ce dernier faisait planer la menace d’une « guerre civile » si le premier ministre, empêché par ailleurs de rentrer à Port-au-Prince après un déplacement au Kenya, ne s’exécutait pas.
Cet enchaînement inédit, même à l’échelle d’un pays comme Haïti, où la pauvreté se conjugue depuis des décennies avec le délitement des institutions associées généralement à l’idée d’Etat, met en évidence le double défi auquel ce territoire fait face. Il s’agit de la restauration de la sécurité et du retour à un ordre démocratique auxquels les Haïtiens ont droit, alors qu’ils n’ont pas pu se rendre aux urnes depuis 2016.
La démission d’Ariel Henry lève paradoxalement une hypothèque. Ce dernier ne disposait d’aucune légitimité populaire, au point d’apparaître, non sans raison, comme porté à bout de bras par les pays occidentaux, à commencer par les Etats-Unis, qui entendent jouer un rôle à Haïti. Leur entêtement, qui allait à l’encontre de l’avis des Haïtiens, a fait perdre un temps précieux. Il a ravivé une défiance justifiée par le lourd passif des interventions internationales dont le pays a été le théâtre par le passé, notamment les épisodes douloureux de la propagation du virus du choléra et d’abus sexuels imputés à la mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (2004-2017).
Pour espérer mettre fin à une effroyable spirale mortifère, deux obstacles considérables doivent désormais être surmontés. Un conseil de transition représentant les forces vives du pays doit tout d’abord s’installer dans une capitale contrôlée à plus de 80 % par des gangs. Initialement instrumentalisés par une oligarchie affairiste, ces derniers ont muté au fil des ans, au point d’apparaître comme des proto-principautés adossées à des portions de territoires, assez ambitieuses désormais pour revendiquer ouvertement une influence politique.
Ces habits nouveaux du crime disent l’ampleur de la tâche qui attend la mission multinationale d’appui à la sécurité autorisée par le Conseil de sécurité des Nations unies en octobre 2023 pour s’attaquer précisément à ces gangs, à leur industrie du kidnapping et à leur pratique du viol de masse. Ce déploiement d’une nouvelle force étrangère promet d’être périlleux du fait de sa modestie, 2 500 hommes, face à des gangs désormais nombreux, bien organisés et aguerris.
Ce double défi requiert un soutien international, à condition de tirer les leçons des errements passés et de faire en sorte que les Haïtiens aient le sentiment de décider de leur avenir. Certaines responsabilités ne peuvent être écartées d’un revers de main, comme le trafic d’armes en provenance des Etats-Unis, qui explique la puissance nouvelle des gangs. Leur envergure renvoie également au développement du crime organisé au-delà du cas particulier des Etats faillis. Ce phénomène transnational, au même titre que la lutte contre le réchauffement climatique ou contre les pandémies, est devenu l’affaire de tous.
Le Monde

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